Caracas, le retour
Les fesses dans le canapé, la main sur le remote, à regarder Severance saison 2, en caressant Akari, la chienne des rues, hyper active, qui nous avait suivis avec Alejandro à ma première visite ici, voilà comment je commence mon séjour à Caracas, épuisé par le soleil de Maracaibo et les 7 heures de bus, allongé en pente derrière des sièges à l'armature en métal.
Trailer de la première saison de Severance.
Aussi les parilladas entre amis, avec le groupe de copains et de copines qui m'avait accueilli la première fois avec les bras grands ouverts et oùpendant lesquelles Raúl, le coach sportif plus hyper actif qu'Akari, qui fait un trail par jour, me le redit : "siempre tendrás amigos aquí".
Je retrouve aussi Yama et son fils José, avec qui je joue au foot jusqu'à tremper ma chemise de soirée, pendant que les adultes parlent nouvel appartement et petits potins, un verre de vin rouge entre les doigts.

Femme forte et indépendante, Yama s'est spécialisée il y a plusieurs années en psychologie puis en thérapies alternatives. À l'écoute de ses sens et de ses sentiments, l'âme en perpétuelle quête d'amour, Yama est, avec José et Alejandro, les principales raisons de mon retour au Vénézuela. Éric, le partenaire d'Alejandro, l'a bien compris et dit à Yama : "Vous vous connaissiez tous dans une vie antérieure". Je regarde Yama, qui me regarde aussi, et on sourit.
Mon visa arrive petit à petit à son terme. Mes 90 jours sont bientôt épuisés et pour être plus tranquille, je devrais partir demain... mais je repousse.


Et une autre ration de propagande, internationale cette fois-ci, parce quand la sauce est bonne, on partage, c'est humain !
Puis le lendemain, je me dis "un jour de plus". Mais je connais les autorités, que j'ai côtoyé aux frontières et dans le pays. Si je retarde trop ma sortie, ces autorités auront un pouvoir immense et dérangeant et tout le loisir de jouer avec ma liberté de mouvement.
Mais qu'elle est douce cette vie tranquille et quand je ne suis pas à la maison, entourée de forêt, perchée sur les hauteurs de San Antonio, dans la fraîcheur et le silence, je descends en bus à Caracas pour déambuler dans les rues, incognito, pour parler avec des vendeurs de rues comme Leonardo, vénézuélien globe-trotteur dans ses années jeunes et folles, qui vend aujourd'hui des coques de téléphones pour survivre.
Le week-end, on prévoit une sortie à la plage avec Yama et Josito. Ça sera ma dernière sortie avant mon départ. Après, je devrais prendre la route pour la frontière sud-ouest pour revenir en Colombie par Cúcuta.

Mais avant ça, la plage, destination la Guaira, ville de la fête par excellence, où la musique ne s'arrête jamais, où les corps sont toujours en mouvement, où les sourires ne retombent pas.



En se baladant à Caracas, près d'un parc dans le quartier d'Altamira, on peut trouver ces belles bêtes, crocodiles de fleuve et d'eau salée, qui peuvent, pour certains de la famille des crocodiles de l'Orinoco, atteindre 7 mètres de long, faisant d'eux les plus grands prédateurs d’Amérique Latine.
Yama connaît très bien cette zone. Elle vient y faire du vélo le long de la côte. On ne s'arrête pas à la Guaira, on continue sur le long des plages, toutes différentes, qu'on longe pendant un moment.
On passe par plusieurs villages, plusieurs lieux abandonnés ou en cours de réhabilitation (comme cet énorme complexe avec piscines d'eau salée, qui ressemble à un camp de vacances pour employés d'EDF et qui représente bien, à mon sens, la mémoire de ce pays de tourisme en tout genre mais surtout de luxe qu'était le Venezuela il y a quelques années encore), et, bien-sûr, le "Museo de la Verdad", dont le nom titille ma curiosité dans un pays où la vérité est officielle, unique, guerrière et imposée (bon j'ai été voir sur internet, apparemment on trouve des sculptures faites en objets recyclés, donc bon, Maduro est peut-être pas au courant du type de vérité qui se crée et se partage dans la zone).

Après un moment sur la route bétonnée, on s'engage sur un sentier avec une forte descente, que le 4×4 de Yama, conçu pour le Paris-Dakar, aborde sans grandes difficultés.
On arrive enfin à la plage de la Cueva, que Yama surnommera, avec son accent anglais proche de celui d'une pakistanaise récemment installée à Londres le "spote biche la cueva".
À partir de là, on déroule une journée de rêve, presque seuls au monde sur cette plage tranquille et isolée, où, avec Josito, on plonge avec fureur, dans les vagues toujours recommencées, comme des Jackass aux mille vies.

Le ballon glisse sur la plage humide, le hamac est tendu à l'ombre, les grottes de plage sont toutes à nous, ouvertes à nos explorations enfantines et curieuses, qu'on entreprend avec la même passion que les savants des livres de Jules Verne.

La cloche du restaurant sonne enfin et on se précipite pour s'attabler. Devant nos yeux ravis, des pagres entiers et grillés, accompagnés de patacones, de riz, de frites et de salade.
La brise salée de la "mar de fondo" (l’équivalent de notre "grosse mer") reverse gentiment nos gobelets. Les vagues de cette plage secrète s'étalent sur le sable avec constance. Les chants des mouettes accompagnent son rythme. L'harmonie est faite, sur la Terre et dans nos corps et nous mangeons en silence et en sourires.

Le reste de la journée ne sera que la poursuite des plaisirs entamés, tantôt dans l'eau, tantôt sur le dos, allongé sur un paréo à l'ombre d'arbres aux feuilles grandes comme des assiettes, tantôt dans un jacuzzi artisanal, ce trou que la mer et le temps se sont amusés à creuser ensemble.

Quand nous rentrons le soir, une sensation de plénitude m'étreint doucement. Moi qui pensais que cette journée me laisserait sur ma faim, qu'elle ne ferait que m'ouvrir l'appétit, j'avais tort. Au contraire, cette journée était celle qu'il me fallait pour refermer le chapitre Caracas et reprendre la route.

Caracas, je te quitte, toi et tes milliards de motos, toi et tes "perros calientes" à toutes heures, toi et tes parcs de centre-ville, toi et tes musées silencieux, toi et ta cinémathèque bien cachée, toi et tes universités, et tes quartiers, et tes habitants ; toi qui survit malgré ce qu'on t'a volé, toi et cet espoir insipide, comme les vagues de la cueva, toujours recommencé.
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que je revienne un jour à Caracas et qu'avec votre soutien je déloge le moustachu pour imposer mon régime à base d'amour, de paix et d'harmonie et d'hélicoptère privé jusqu'à ma plage privé pour manger mes crevettes privées payer par vous.
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