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Caracas, le retour

Visitez Caracas la furieuse, toujours en mouvement, toujours active, et découvrez, dans ses alentours, ses plages secrètes et paradisiaques.
Vue d'un embouteillage à Caracas au Vénézuela à travers un pare-brise.
Photo by luisana zerpa / Unsplash

Les fesses dans le canapé, la main sur le remote, à regarder Severance saison 2, en caressant Akari, la chienne des rues, hyper active, qui nous avait suivis avec Alejandro à ma première visite ici, voilà comment je commence mon séjour à Caracas, épuisé par le soleil de Maracaibo et les 7 heures de bus, allongé en pente derrière des sièges à l'armature en métal.

Trailer de la première saison de Severance.

Aussi les parilladas entre amis, avec le groupe de copains et de copines qui m'avait accueilli la première fois avec les bras grands ouverts et oùpendant lesquelles Raúl, le coach sportif plus hyper actif qu'Akari, qui fait un trail par jour, me le redit : "siempre tendrás amigos aquí".

Morcilla (équivalent du boudin noir antillais), costilla, ensalada, yuka, le tout arrosé de guasacaca venezolana, préparation à base de coriandre et d'avocat. Source : Wikipédia

Je retrouve aussi Yama et son fils José, avec qui je joue au foot jusqu'à tremper ma chemise de soirée, pendant que les adultes parlent nouvel appartement et petits potins, un verre de vin rouge entre les doigts.

Mur coloré de propagande au Venezuela a Caracas.
Et une ration de propagande multicolore, une !

Femme forte et indépendante, Yama s'est spécialisée il y a plusieurs années en psychologie puis en thérapies alternatives. À l'écoute de ses sens et de ses sentiments, l'âme en perpétuelle quête d'amour, Yama est, avec José et Alejandro, les principales raisons de mon retour au Vénézuela. Éric, le partenaire d'Alejandro, l'a bien compris et dit à Yama : "Vous vous connaissiez tous dans une vie antérieure". Je regarde Yama, qui me regarde aussi, et on sourit.

Mon visa arrive petit à petit à son terme. Mes 90 jours sont bientôt épuisés et pour être plus tranquille, je devrais partir demain... mais je repousse.

Puis le lendemain, je me dis "un jour de plus". Mais je connais les autorités, que j'ai côtoyé aux frontières et dans le pays. Si je retarde trop ma sortie, ces autorités auront un pouvoir immense et dérangeant et tout le loisir de jouer avec ma liberté de mouvement.

Mais qu'elle est douce cette vie tranquille et quand je ne suis pas à la maison, entourée de forêt, perchée sur les hauteurs de San Antonio, dans la fraîcheur et le silence, je descends en bus à Caracas pour déambuler dans les rues, incognito, pour parler avec des vendeurs de rues comme Leonardo, vénézuélien globe-trotteur dans ses années jeunes et folles, qui vend aujourd'hui des coques de téléphones pour survivre.

Le week-end, on prévoit une sortie à la plage avec Yama et Josito. Ça sera ma dernière sortie avant mon départ. Après, je devrais prendre la route pour la frontière sud-ouest pour revenir en Colombie par Cúcuta.

Race de boeuf bufalo au Venezuela à Caracas.
Un jour avant la plage, on a été faire un tour à l'Expoferia Nacional Bufalina-Caprina-Ovina au Parque Bolivar de la Carlota. Je vous laisse imaginer la taille de ce búfalo (genre Bubalus en français, dont le Venezuela est l'un des principaux producteurs d’Amérique Latine).

Mais avant ça, la plage, destination la Guaira, ville de la fête par excellence, où la musique ne s'arrête jamais, où les corps sont toujours en mouvement, où les sourires ne retombent pas.

Yama connaît très bien cette zone. Elle vient y faire du vélo le long de la côte. On ne s'arrête pas à la Guaira, on continue sur le long des plages, toutes différentes, qu'on longe pendant un moment.

On passe par plusieurs villages, plusieurs lieux abandonnés ou en cours de réhabilitation (comme cet énorme complexe avec piscines d'eau salée, qui ressemble à un camp de vacances pour employés d'EDF et qui représente bien, à mon sens, la mémoire de ce pays de tourisme en tout genre mais surtout de luxe qu'était le Venezuela il y a quelques années encore), et, bien-sûr, le "Museo de la Verdad", dont le nom titille ma curiosité dans un pays où la vérité est officielle, unique, guerrière et imposée (bon j'ai été voir sur internet, apparemment on trouve des sculptures faites en objets recyclés, donc bon, Maduro est peut-être pas au courant du type de vérité qui se crée et se partage dans la zone).

- Président, il faut que vous alliez démanteler un autre musée de la vérité - Mais moi je veux danser oh ! - Oui, président, je sais bien, mais voyez président, vous êtes président super-vilain, majesté alors... - Président c'est nul de toute façon ! Moi je voulais être cool comme Héctor Lavoe et Frank Ruiz, pas président taché de sang et caca populaire...

Après un moment sur la route bétonnée, on s'engage sur un sentier avec une forte descente, que le 4×4 de Yama, conçu pour le Paris-Dakar, aborde sans grandes difficultés.

On arrive enfin à la plage de la Cueva, que Yama surnommera, avec son accent anglais proche de celui d'une pakistanaise récemment installée à Londres le "spote biche la cueva".

À partir de là, on déroule une journée de rêve, presque seuls au monde sur cette plage tranquille et isolée, où, avec Josito, on plonge avec fureur, dans les vagues toujours recommencées, comme des Jackass aux mille vies.

image créée via intelligence artificielle d'une famille à la plage au Venezuela.
Demandez à une IA de créer des images, c'est bien, mais est-il réellement besoin de lui préciser que ces images ne doivent pas être... inquiétantes ? Cette photo, représentant en apparence une journée heureuse à la plage, est l'exemple parfait de cette IA maléfique qui sabote nos imaginaires innocents. Premièrement, le fait que le petit garçon ramène à son père/beau-père/oncle/maître une planche de bois où il y a déposé une ligne de cocaïne, c'est généreux. Deuxièmement, le fait qu'une cuillère vole à hauteur du visage du second enfant, menaçant de s'introduire dans son œil avec férocité et injustice, comme un procès sans juge. Ensuite, cette poignée de sable que cette jeune femme cache derrière son dos et qu'elle va envoyer dans les yeux de cet homme, qui le mérite sûrement. Enfin, cette jambe supplémentaire que l'homme a greffé à cet enfant-esclave pour accélérer le service de cette drogue dont il dépend. Alors l'IA c'est bien, mais faut quand-même vérifier.

Le ballon glisse sur la plage humide, le hamac est tendu à l'ombre, les grottes de plage sont toutes à nous, ouvertes à nos explorations enfantines et curieuses, qu'on entreprend avec la même passion que les savants des livres de Jules Verne.

Plage sur la côte vénézuélienne.

La cloche du restaurant sonne enfin et on se précipite pour s'attabler. Devant nos yeux ravis, des pagres entiers et grillés, accompagnés de patacones, de riz, de frites et de salade.

La brise salée de la "mar de fondo" (l’équivalent de notre "grosse mer") reverse gentiment nos gobelets. Les vagues de cette plage secrète s'étalent sur le sable avec constance. Les chants des mouettes accompagnent son rythme. L'harmonie est faite, sur la Terre et dans nos corps et nous mangeons en silence et en sourires.

Une plage sur la côte vénézuélienne.
Spot biche

Le reste de la journée ne sera que la poursuite des plaisirs entamés, tantôt dans l'eau, tantôt sur le dos, allongé sur un paréo à l'ombre d'arbres aux feuilles grandes comme des assiettes, tantôt dans un jacuzzi artisanal, ce trou que la mer et le temps se sont amusés à creuser ensemble.

Couché de soleil à la Guaira au Venezuela.
Soleil, je partirais sur tes traces, te poursuivre pour que tu ne te couches jamais.

Quand nous rentrons le soir, une sensation de plénitude m'étreint doucement. Moi qui pensais que cette journée me laisserait sur ma faim, qu'elle ne ferait que m'ouvrir l'appétit, j'avais tort. Au contraire, cette journée était celle qu'il me fallait pour refermer le chapitre Caracas et reprendre la route.

Torta de jojoto (maïs) au Venezuela.
Torta de jojoto (maïs) et glaces de maracuya (fruit de la passion) avant de repartir pour Caracas. Source : vidactual.com

Caracas, je te quitte, toi et tes milliards de motos, toi et tes "perros calientes" à toutes heures, toi et tes parcs de centre-ville, toi et tes musées silencieux, toi et ta cinémathèque bien cachée, toi et tes universités, et tes quartiers, et tes habitants ; toi qui survit malgré ce qu'on t'a volé, toi et cet espoir insipide, comme les vagues de la cueva, toujours recommencé.


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