En route pour Caracas !
Après Barranquilla, et après un passage de frontière mémorable, j'arrive enfin à Maracaibo, où je rencontre Maria et Rafael, parents de Jésus et Jesika, qui m'accueillent comme leur fils et m'annoncent que la chaleur des jours à Maracaibo empêche toute sortie tant que le soleil règne en maître. Alors on passe la journée à la maison, accompagné du ventilo ou de l'air conditionné, jusqu'à que l'électricité se coupe.
Dans tout le pays et ce depuis 2009, la vétusté du réseau, sa maintenance, la corruption, les mesures de centralisation de sa gestion, et les déficits de personnels, combinés à des épisodes climatiques, ont eu pour résultat le décret d'un rationnement strict de l'énergie électrique.
Concrètement, ça sous-entend pour les habitants qu'il faut toujours être préparé. Ce qui pour nous, pour moi, me paraît si évident, si normal, si régulier se coupe ici brusquement et pendant plusieurs heures.
Après Maracaibo, j'ai entamé ma route vers Caracas sur le "puente sobre el agua", le pont Général-Rafael-Urdaneta, long de plus de 8 kilomètres, sur l'embouchure du lac Maracaibo, et qui représente l'une des plus grandes prouesses de l'ingénierie de l'histoire du Vénézuela.

Au poste de contrôle, les agents de l'Office anti-drogues, de l'Office migratoire et de la Guardia nacional contrôlent les personnes sortant de la zone frontalière avec la Colombie pour s'enfoncer dans le pays.
J'y retrouve un jeune agent de la migración, qui, lorsque j'étais ici il y a quelques mois pour passer en Colombie, m'a aidé à embarquer avec un camionneur.
Je m'approche en souriant, et lui demande s'il me reconnaît. "Bien-sûr que je te reconnais" me lance t-il en riant, sous entendu "comment j'aurais pu oublier un taré comme toi, qui à l'un des meilleurs passeports au monde mais qui veut, pour l'aventure, faire, en sac à dos, le tour du monde connu".
Il m'invite à m'asseoir, je connais la routine, je m'assieds et attends. Les voitures défilent, certaines se font arrêter, d'autres freinent, leurs chauffeurs baissent les vitres pour montrer ce qu'ils transportent et avec qui, puis, autorisés par les agents à casquette et à uniforme, ils accélèrent et s'en vont. Les camionneurs eux s'arrêtent à l'entrée du pont et vont faire tamponner des feuilles précisant leurs cargaisons.
C'est ici le bon moment de faire une pause musicale avec Rawayana, le groupe vénézuélien le plus coooool du moment, ouaisss !
Il fait chaud et il y a peu d'ombre. Ici un homme vend du chocolat importé de Turquie, là un autre vend des chupis à 20 bolivares et ça et là des uniformes.
Les hommes de la Guardia nacional sont partout. Pas seulement à leur poste, mais aussi au mien. Eux aussi attendent "la cola", eux aussi attendent que quelqu'un veuille bien les embarquer.

Finalement un bus vide arrive. Introduis par le jeune homme du service migratoire, je demande au chauffeur s'il peut m'embarquer dans ce bus vide qui va dans ma direction, qui va vers Caracas.
Immédiatement, il me demande "combien tu me donnes ?". J'essaye de lui expliquer comme je peux, et le plus rapidement possible car il est pressé et s'agite dans tous les sens comme un touriste qui va rater son avion, le but de mon voyage, mais il ne veut rien savoir. Il me dit que le carburant se paye, les péages aussi, et qu'il ne peut pas prendre des gens gratuitement, même dans un bus vide qui ira, de toute façon, à destination.
L'agent des services migratoires, qui appuie mollement mon cas, se retire, et je recule aussi et dans mon dos surgissent trois membres de la Guardia nacional qui grimpent dans le bus avec leur barda.

Le temps passe, et avec lui la vie tranquille de ce poste de contrôle, qui possède sa hiérarchie et ses propres lois. Ici, la boisson et la bouffe sont, de fait, gratuites pour la Guardia nacional. Si un garde vous demande un verre de papelón, ou une teta, vous ne pouvez pas refuser. Et s'il ne vous paye pas ? C'est comme ça ! Que pourriez-vous faire dans cette zone contrôlée entièrement par le kaki de leurs tenues ?
Finalement, après 6 heures d'attente, et sans que la chance ne m'ait souri, je finis par négocier avec un chauffeur de bus, qui va directement à Caracas, pour aborder son véhicule moyennant quelques dollars.
Assis dans les escaliers, je verrais de nouvelles vies défiler, des hommes, des enfants, des vieux, ouvrir la porte des toilettes que les escaliers jouxtaient, ainsi qu'une femme qui, en sortant des toilettes et me voyant assis comme une âme en peine sur des marches sales, m'assura que "Jésus te ama", ce qui me rassura et leva un doute que j'avais en moi depuis bien trop longtemps.
Après les escaliers, je finis par changer de place et me fait propulser au prochain échelon social quand, après avoir pris une douche, fortement conseillée par le chauffeur qui vint me voir à la cafeteria où nous nous arrêtâmes faire une pause, celui-ci me trouva une place de choix, allongée derrière une rangée de sièges où étaient assis un vieux monsieur aux yeux doux, une jeune fille avec un bébé dans les bras et une vieille dame avec un chihuahua mieux habillé que moi.
Des bonnes tranches de rire plus tard, alors que je jouais au contorsionniste derrière leurs sièges, je finis par arriver à Caracas, capitale du Venezuela.
À la gare routière, la jeune femme au bébé me demande de l'aide pour porter son sac. Je l'aide jusqu’à la sortie et elle me tend un billet d'un dollar. Je refuse, elle insiste. Je le prends finalement mais ma fierté supporte mal cette charité dont je n'ai pas besoin.
Je n'ai pas besoin de votre aumône, ou de votre argent, aimerais-je crier. J'ai besoin de votre solidarité, et même si j'avais un compte en banque plein de billets de toutes les couleurs, j'en aurais toujours besoin et vous de la mienne.
Je suis à Caracas et je retrouve les amis qui m'y ont accueilli il y a plusieurs mois. Parrillada et détente en vue.
PS : En arrivant à Caracas, au péage de la Victoria, j'ai découvert le dessin-animé officiel du pouvoir, celui où Super Bigote se bat contre l'impérialisme et le capitalisme, le tout dans une tenue moulante révélant ses muscles saillants. Un délice pour les yeux et les oreilles !
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que les trajets de bus bloqué sur une moquette qui sent le chien derrière la ferraille des sièges se transforment en trajet en bus, bondé mais avec place assise, puis en trône avec porteurs, raisins frais et limonade glacée.
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