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Jour 18

Journal de bord de la traversée du Pacifique
Jour 18
Desert Forms, Hughie Lee-Smith, 1957, ©Estate of Hughie Lee-Smith/ARS (Artist Rights Society), New York

Grain* sur grain. Ça s'en va et ça revient. On rentre les voiles, on laisse passer le grain, puis on remet les voiles en attendant le prochain grain.

Gui a fait des tortillas à midi. Dans l’après midi, on fait un cheesecake avec So, et le soir, je fais une recette du papa Nasser : pâtes aux olives et au jambon. Belle réussite !

Pensées du jour : L’océan est une invitation. Quand on lève la tête, on n’y voit que du bleu, qui change de teinte parfois, mais ça reste, pour beaucoup, du bleu. Il y a bien quelques nuages qui se partagent le plafond mais c’est à peu près tout. Vraiment ? Si on décide de rentrer les yeux sous les paupières, c’est, en effet, à peu près tout. Mais si on maintient le vagabondage assez longtemps, la poésie apparaît et le rideau s’ouvre.

The Artist Looks at Nature, Charles Sheeler, 1943, ©Charles Sheeler

Les nuages, déchirés par le souffle frais qui nous pousse, ou expulsés de la bouche d’un géant, se révèlent pour ce qu’ils sont : des ombres immenses et familières, tirées des rêves étranges qu'un premier poète eut un jour. Sur ces nouveaux plateaux inconnus, de gros enfants jouent avec des dinosaures à crêtes solides. De la vapeur s’échappe d’un lézard à tête d’enclume tandis qu’un chien à dents de scie garde férocement son coussin moelleux, avant de fondre dans une flaque fauve.

Dans le vent, des voix sifflent, reines des espaces blancs. Elles racontent ce qu’elles ont vu, ce qu’elles ont su quand, autrefois, elle étaient tout un corps ; ces voix perdues au milieu de ce rien éblouissant.

Ocean Voyagers, Ynez Johnston, 1951, ©Ynez Johnston

La mer et ses messagères, vagues de sel et d’eau, qui voyagent sans jamais s’arrêter, sans jamais demander de repos. La mer, fille d’une ondulation primaire, première, originelle, virginale. C’est cette même ondulation qui fait toujours la mer, et quand je la regarde, j’image Homère, Camus, Le Guin, et toutes celles et ceux qui avaient la mer près d’eux murmurer :

“La poésie, c’est l’harmonie, la cadence, la musique du monde. Le poète, c’est celui qui l’écoute. Ainsi murmure la sagesse, que cette vague porte en elle, et ainsi viendra t-elle, peut-être, un jour à toi”.

Grain : orage