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Une journée dans le Llano vénézuélien (1/2)

Voyagez dans le llano vénézuéliens, frontaliers de la Colombie, plaines immenses où les vaches et les bœufs sont élevés par milliers, faisant du Vénézuela une puissance exportatrice aussi considérable qu'insoupçonnée.
Un groupe de veaux dans une ferme au Vénézuela.
Ces veaux meuglent même au Vénézuela, quelle curieuse mode !

Fini Caracas, finie la vie devant la téloche, ou les pieds dans l'eau, ou les mains à se servir de viandes en tous genres. Il s'agit, à nouveau, de quitter le cocon dans lequel je vivais bien nourri et à l'ombre pour retrouver la route et les chemins qui mènent à l'après, qui m'attend quelque part en Colombie, où je veux revenir.

Cette fois-ci, pas de Guajira, que je connais désormais trop bien pour vouloir y retourner, mais plutôt direction Cúcuta, porte d'entrée bien connue des vénézuéliens et vénézuéliennes qui, au plus fort de la crise, partaient depuis Cúcuta à pied pendant de longues journées, de longues semaines voire de longs mois, pour rejoindre l'Équateur, le Pérou, le Chili, bref absolument partout sauf leur beau pays ruiné.

En 2019, le comédien vénézuélien José Rafael Guzmán commence une série d’épisodes où il décide de marcher pendant plusieurs jours au côté de compatriotes partis de leur pays en crise. Première étape : Cúcuta.

Comme la première fois, je prends le bus pour sortir de la périphérie de Caracas. Arrivé à Maracay, je rebondis de stop en "busetas" (petits bus de courte et moyenne distance) pour finalement atteindre le plus gros péage de la zone, celui que j'espérais atteindre et que je connais désormais très bien : le péage de Guacara.

Péage de Guacara au Vénézuéla.
Source : todosahora.com

Comme la première fois, des hommes, des femmes, vieux, enfants, titubant, allongés, espèrent la même chose, toujours la même chose : une vie meilleure de l'autre côté de la frontière, dans ce pays aux couleurs sœurs, mais dont la santé économique attirent par milliers et millions ces voisins qui se sont décidés à lui rendre visite.

Quand j'annonce que je suis français, en dehors des rires habituels, je sens aussi de la frustration. Et puis, je n'ai pas vraiment besoin d'interpréter puisque l'un d'entre eux m'avoue un peu sèchement :

— Nous on veut partir d'ici, partir du Vénézuela, et toi, avec ton passeport français tu viens ici alors que ta vie était parfaite ?

C'est pas totalement faux. J'aurais pu rester où mes amis et mes parents et mes compatriotes sont restés. J'aurais pu faire ma vie dans le pays dans lequel j'ai grandi et que je connais bien, en étant heureux et reconnaissant d'avoir la chance de vivre en paix et en bonne santé. J'aurais pu faire tout ça, c'est vrai.

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J'aurais pu faire ça, chez moi, et la vie aurait été absolument ma... Oui madame, pardon j’étais perdu dans mes pensées. Donc je disais, c'est le petit bouton rouge sous votre box. Non pas ça, ça c'est votre mug de café... non ça non plus madame parce que ça, c'est votre fils... Photo by Good Faces / Unsplash

Mais alors, est-ce que je suis parti parce que je voulais plus ou parce que je voulais autre chose ? Est-ce que je suis parti pour une raison qui me trottait dans la tête ou pour en trouver une sur le chemin ? Est-ce que je suis parti pour l'exotisme et l'aventure, ou pour singer ceux pour qui le voyage est une nécessité, ou pour connaître leurs histoires et en faire des perles que je porterais autour du cou pour les exhiber, ou tout simplement parce qu'il faut partir quand le cœur vous appelle ?

Je n'ai la réponse à aucune de ces questions, et pourtant quand on me le demande, je dis machinalement que je suis parti pour découvrir. Alors je découvre, parfois avec une boule au ventre, souvent avec un sourire que je veux partager, parce qu'à quoi bon voyager si la métaphysique me pèse au point de devenir rigide et cynique comme un philosophe de café ?

Cher Raphaël Enthoven - Boxing day #4
Comme lui, qui dit des choses du genre "« Israël est un État minuscule qui est une exception démocratique dans un monde de brutes. » A retrouver dans le très très bon Boxing Day de Blast.

Assis sur le même rebord qui m'avait accueilli, avec Hitler et Jhondi il y a 9 mois, ces questions, qui renaissent sans cesse, m'occupent pendant que la Guardia nacional discute avec les chauffeurs de camions qui s'arrêtent pour leur présenter leurs papiers.

Puis le membre de la Guardia nacional, à qui j'ai parlé plus tôt et qui m'a offert un arepa en m'assurant qu'il m'aiderait, m'appelle et me fait signe de venir. Il me présente à Éliot, chauffeur de camion qui, chance inespérée, se rend à San Cristóbal, soit 500km dans ma direction.

— Il n'a rien d'illégal sur lui ? demande Eliot au chef et le chef me renvoie la question, à laquelle je réponds que non, je n'ai rien d'illégal sur moi, sans préciser qu'un petit sachet plein de champignons magiques, que m'a offert Yama avant de partir, dort tranquillement dans ma sacoche.

✨🇹🇲🧞

Éliot, sûrement pour la compagnie, accepte que je grimpe pour plusieurs heures avec lui, dans la soirée déjà bien avancée, sur les routes désertes que les lampadaires incendient de tâches orangées.

La route, la route, la route, qu'Eliot connaît si bien, puis l'arrêt, pendant lequel il tend un carton pour que je puisse m'allonger sur le bord de la route.

Ces questions que j'évoquais et qui me trottent dans la tête, reçoivent dans ces moments quelques réponses, et si on me demande pourquoi je suis parti, je pourrais répondre "pour apprendre qu'un bout de carton peut vous changer une nuit entière".

14 heures après être parti de Caracas, je suis a quelques heures de Cúcuta, ma destination. Record absolu dans mon histoire d'auto-stoppeur. Eliot me dépose à un péage, et, en regardant autour de moi les plaines des Llanos qui s'étalent, je décide qu'aujourd'hui sera chômé et entièrement consacré à la prise des champignons magiques à l'ombre d'un arbre solitaire.

low angle photography of trees at daytime
Esto será perfecto ! Photo by Casey Horner / Unsplash

Sur la carte, je remarque un long chemin qui mène vers un fleuve. Je décide de m'y diriger en passant, sans qu'un autre choix soit possible, par la route bruyante.

La route est désertée par les piétons. Ils sont tous dans leurs maisons, à l'abri du soleil en colère qui cogne comme un boxeur ivre, et ils me regardent, parfois avec un mélange d'affliction et d'affection, réservée aux voyageurs qui marchent longtemps, endurant, stoïques, ce que le temps leur impose.
Je m'approche finalement d'une maison, et demande au propriétaire intrigué s'il m'autoriserait à tendre mon hamac sous son porche. Peiné, il me dit que le chien n'aime pas les étrangers.

Jean-Marie le Pen et un chien.
Donc il a aussi élevé des chiens pour les envoyer partout dans le monde ? Respect ! Source : pinterest.de

Plus loin, un homme balaye sans fin l'immense surface d'un hangar pour... avions ? Je m'approche un peu, lui demande si je peux m'approcher un peu plus pour qu'il puisse m'entendre, mais, par des signes, il m'indique de rester où je suis. Je lui présente succinctement, et en criant, la situation, et lui demande si je peux tendre mon hamac derrière le hangar, près des arbres, pour me reposer un peu. Il refuse, je tourne les talons et reprend ma route au soleil.

Vous vous attendiez à c'que j'balance du Jenifer ici hein, au soleil "Au soleil" et paf c'est plié ? Eh bien non mes jeanjeans et jeanjeantes car ce blog ne vous prend pas pour des jambons. A la place de la gagnante la première saison de la Star Academy, je vous propose la reprise de son tube en mandarin.

Je suis quasiment à hauteur du chemin que j'avais repéré sur la carte. Je m'y engage et marche, seul, sur un sentier qui traverse les pâturages, qui me rappellent ma Loire natale, les ibis rouge écarlate en plus, donnant une touche égyptienne au lieu.

Ibis rouge dans un champ au Vénézuela.

Au loin, j'aperçois deux cavaliers. Je m'approche, l'un d'eux descend de son cheval, et je lui explique que j'aimerais aller jusqu'au fleuve au bout du chemin pour me reposer. Il me le déconseille.

La route est très longue avant d'arriver au fleuve me dit-il. À la place, il me propose, sous réserve que leur patron accepte, de rester dans la maison qu'ils occupent. Ils m'invitent à attendre ici pendant qu'ils iront ramener les vaches puis appelleront leur patron.

Deux hommes sur leurs chevaux au Venezuela.

Fin de la première partie.


Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que j'achète une ferme immense avec plusieurs dizaines de vaches, plus plusieurs centaines, puis quelques milliers, et que mon business grandisse au point où les vaches seront tellement nombreuses qu'elles prendront le pouvoir partout, de Washington à Ankara en passant par Angoulême.