Panama en bateau de luxe (2/3)
Passé un temps, je ne fais plus l'effort d'écouter Ron, et quand il décide de partir en vrille sur l'actualité ou les autres humains, je souris hypocritement, me lève et vais ailleurs, en glissant quelques mots en espagnol à Daniel, parfois dans le langage cryptique qu'il m'a appris.

On arrive enfin dans les îles San Blas. L'air plein de légèreté et la vue de ces îles solitaires, à peine peuplées, nous met tous en joie.
On décide, après avoir mangé notre riz-œufs du jour avec Daniel, d'aller explorer la zone avec les masques et tubas que Ron nous prête. On l'invite à nous rejoindre, il nous dit qu'il viendra peut-être après, une fois qu'il aura réglé son problème de chaîne usée et rouillée.
Le sentiment d'apaisement que me procure l'océan ne manque jamais de se présenter aux meilleurs moments. Observer, nager, écouter. Vider tout l'air qui me retient à la surface et tomber comme une feuille en automne, comme une pierre qu'on laisse couler. Tout ça et tout le reste, et ces heures qui passent comme des secondes.
Avec Daniel, on débarque sur une petite île et on fait la connaissance d'un jeune Guna qui décide, malgré les imprécations de sa grand-mère, de venir snorkeler avec nous, et le festival commence.
Des milliers de petits poissons nous entourent quand on se remet à l'eau, un crabe araignée que notre guide a péché ce matin, maintenu au corail par une cordelette, un diodon et, clou du spectacle, un requin nourrice.

On revient finalement sur l'île et on finit par se quitter en serrant les quelques mains des quelques habitants de l'île, où quiétude et simplicité s'y sont durablement installés.
De retour sur le bateau, Ron est toujours sur l'ordinateur, cherchant encore un moyen pour commander sa chaîne. Je lui raconte un peu l'émotion que cette journée nous a transmis, il me dit "cool", sans lever la tête, puis retourne à sa logistique.
Le soir, alors que nous échangeons sur le Rainbow avec Daniel, qui était aussi à Mocoa pendant plusieurs jours sans que nous nous y croisions, Ron, parti depuis plusieurs heures, débarque dans son annexe avec Shaun, nouvel ami qu'il s'est fait au bar aujourd'hui.

En les écoutant arriver avec leurs moteurs vrombissants et leurs voix qui portent jusqu'en Papouasie Nouvelle-Guinée, je sens que mes poils s'hérissent.
Avant que je commence à discuter avec Daniel, j'avais prévu de regarder un film, seul dans ma cabine.
Quand ils débarquent, je fonce m'enfermer dans ma cabine en serrant vaguement la main à Shaun qui, au demeurant, à l'air d'être un chouette type.
Ce soir, j'ai prévu de voir un film, et ce rendez vous avec moi-même n'est pas moins important qu'un rendez-vous avec quelque d'autre. Alors je refuse l'invitation. Ron ne comprend pas et me le fait savoir, maladroitement :
— Je vais mettre la musique à fond tu vas pas pouvoir dormir donc autant que tu sois avec nous.
Je lui mens en répondant que la musique ne me dérangera pas et, malgré Daniel, qui me prend par le bras pour me faire monter de force pour boire une "petite bière", je le repousse fermement et m'enferme dans ma cabine.

Je ne regarderai pas de film ce soir là, et ne dormirais pas non plus avant 2 heures du matin.
Le lendemain, Daniel me dit que j'ai fait une erreur et que ça ne me coûtait rien de prendre une bière ou de rester 15 minutes avec le groupe. Mais je n'avais pas envie et j'ai voulu être honnête avec ce que je ressentais et ce que je voulais faire.
Ces tous ces moments qui me font sentir comme Meursault, étranger en terres des Hommes, comme si je n'étais pas taillé pour le monde qui m'entoure, le monde qui m'encercle.
Tous ces petits moments où, au cours d'une conversation, les participants ne s'écoutent pas mais déverse, chacun leur tour, le flot des pensées qui les occupe.
Comme là...
Tous ces petits moments où, au lieu d'aller découvrir ce et ceux qui nous entourent, au lieu d'en apprendre plus sur les autres et sur nous-mêmes, on s'adonne à des rituels abrutissant parce que le groupe les impose.

Daniel m'a dit que je créais un monde dans un monde et il a sûrement raison.

Le lendemain, Ron nous invite tous au beach bar. Le sentiment de culpabilité m'a amené à accepter son invitation.
Malgré mon appréhension, la soirée commence bien et nous retrouvons Shaun au bar. On discute, ou plutôt Ron discute et digresse, mais l'air est agréable et les néons donnent au lieu une ambiance tamisée et douce que le bruit des vagues accroît.
Puis Ron, qui veut voir plus de monde, nous invite à passer de l'autre côté de la petite île. Je vais récupérer les affaires et les tongs dans le dinghy et le temps de revenir, Shaun et Ron sont déjà partis. Seul Daniel, le latino, m'a attendu.
Je passerai finalement la soirée avec Daniel, à manger les spaghettis qu'un ami à lui nous offre (spaghettis normalement réservées aux touristes qui payent) et à discuter, sans voir le temps passer, dans un hamac au bord de l'eau.
Quand on finit enfin par rejoindre Shaun et Ron, celui-ci nous dit de sa grosse voix :
— Where the fuck have you been? commentaire auquel je ne réponds évidemment pas, et mon silence le fait spéculer, jusqu'à ce qu'il trouve nécessaire d'ajouter
— Are you guys fucking gay? et il explose d'un rire gras dont Shaun et un de leurs compagnons de boisson, qui peine à articuler une phrase, se font les caisses de résonance.
Le commentaire déplacé l'est d'autant plus que Ron nous avait dit qu'il n'aimait pas les homosexuels. Silencieux, comme souvent dans ce genre de situation, la culpabilité que j'avais ressenti en début de soirée, et qui était encore là il y a quelques minutes quand on les a rejoint, s'est complètement évanouie, transformée en mépris, en dégoût presque.
Fin de la deuxième partie.
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que je m'achète un casque de chantier antibruit, que je camouflerai sous une chapka en diamants, parce que maintenant, j'ai un standing, fini les pieds qui puent et le thon en boîte (Non ? Ah bon d'accord...).
Member discussion