Panama en bateau de luxe (1/3)

Cartagena, Cartagena, dans les rues proches de l'une des tes marina, je déambule et je cherche le prochain bateau qui m'attend déjà.

Dans des petites bouteilles vides, j'ai laissé un message pour les capitaines. Sur tous les pontons, je lance les bouteilles dans les annexes* qui y sont attachées en espérant naïvement que, dans le fouillis mouillé de canettes vides, ils s'apercevront qu'une bouteille y a été ajoutée et qu'elle contient un message.

Alors pourquoi KoKo recherche Bato de Nouvo ? Cette fois-ci, ça sera le Panama puis, avec un peu de chance et d'huile de coude : TAHITI !

Assis sur une chaise sous le barnum du club nautique, je vois passer les bateaux qui se rendent à San Blas pour escales touristiques à base de rhum, de coco bien fraîches et de barbecue sur les plages de sable fin.

Je demande constamment aux jeunes messieurs à casquettes, capitaines des bateaux en partance pour le paradis, mais aucun n'a besoin d'aide.

Alors j'attends. Attendre, c'est la plus grande partie du boulot. Attendre en espérant, attendre en étant convaincu qu'un bateau est déjà prêt pour nous faire embarquer. Attendre sans se ronger les ongles.

Puis sur un groupe WhatsApp, je vois passer un message "salut je m'appelle Daniel, je suis péruvien et je cherche un bateau pour rejoindre le Panama". Il a posté une photo, grâce à laquelle je le reconnais. Il est assis derrière moi, près de la vendeuse d'empanadas et de jugo de mora (fruit similaire à la mûre). Je le rejoins et on familiarise rapidement.

Il s'amuse de ma manière de parler, teintée par les nombreux mois que j'ai passé au Vénézuela. Moi, je m'étonne de voir un péruvien backpacker boat hitchhiker.

Depuis le début de l'aventure, c'est la première fois que j'en croise un. Des Allemands et des Français, y'en a par paquets de 100, mais des Latinos ?

Maintenant, on est deux à attendre et ça fait toute la différence.

Et puis un jour, on reçoit tous les deux le même message :

On commence à discuter avec la personne en question, et on se montre mutuellement les réponses qu'on reçoit histoire de s'assurer qu'il est bien consistant dans ses réponses et qu'il n'est pas un tueur en série avec un bateau de luxe.

Bateau de luxe, oui, parce qu'on découvre qu'il s'appelle Ron, qu'il est hollandais et qu'il a un Fountaine Pajot qui lui coûte 1000$ d'entretien par jour. Par jour oui, car le luxe d'avoir un lave-linge, des plaques à induction, deux frigos, un four, une télé, 5000 watts d'énergie solaire et une PlayStation 5 a un coût.

Ron nous dit qu'il cherche de la compagnie. Il veut faire la fête et se faire des amis. On accepte assez vite d'embarquer avec lui, un peu trop vite peut-être parce qu'on se rend compte que le bateau n'est pas prêt à partir.

Depuis plusieurs mois, Ron est au mouillage et n'a pas bougé. Sa chaîne est encombrée de toutes sortes d'organismes qui ont décidé de s'y installer.

Avec Daniel, on plonge en apnée pour décrasser les chaînons des coquilles de moules colombiennes accrochées aussi durement à la chaîne que Paul Biya à son fauteuil présidentiel.

Après plusieurs heures d'efforts, de Karcher et de patience, la chaîne finie enfin par être assez propre pour être remontée par le guindeau. Ron, ours solitaire qui n'a, selon ses dires, besoin de personne, nous sourit et nous remercie. "Je n'aurais jamais pu faire ça tout seul" ajoute t-il, et avec Daniel, on jubile.

Après avoir fait le plein d'eau, de nourriture et d'essence, on prend la mer direction l'archipel des San Blas et ses eaux turquoises.

On joue aux cartes, on boit des bières, on fait même un repas poulet-riz-brocoli ensemble.

L'ambiance est agréable. Mais, Ron tient souvent à me faire part de ses réflexions et j'ai du mal à le suivre, surtout quand il m'assure que les colombiens et colombiennes ne sont intéressés que par l'argent qu'il possède, que les pauvres devraient se bouger un peu pour sortir de leur misère, que la Russie de Poutine est le meilleure pays du monde et que la Libye de Khadafi était un paradis sur terre.

Ces idées ne sont pas originales, et je n'en tiens pas réellement compte. Ce qui me dérange et m'attriste plutôt c'est la maladresse avec laquelle il interagit.

Il est seul depuis longtemps, et ça se sent. Il a l'air de se méfier de tout le monde et certaines de ses sorties nous le confirment, comme quand, avec Daniel, on décide, excités, de jouer à la Playstation en pleine mer et qu'il nous dit, après qu'on lui ait demandé l'autorisation d'allumer la console "vous n'avez pas besoin de me demander, vous êtes ici chez vous", ce qui nous fait sourire comme des enfants. Puis il ajoute très sérieusement "juste, ne me volez pas mes affaires", sortie qui nous blesse profondément et nous laisse dans une incompréhension inconfortable.

Les sorties de Ron sont de plus en plus difficiles à suivre et à digérer. Daniel ne parle pas anglais alors quand Ron décide de monologuer sur l'opération spéciale lancée par la Russie pour rétablir l'ordre en Ukraine, qui n'est pas vraiment un pays et qui ne l'a jamais été, il me choisit tout naturellement. Et quand ça n'est pas l'Ukraine, c'est les gens, qui sont idiots et susceptibles, à qui on ne peut rien dire sans les vexer.

Alors il discute philosophie avec ChatGPT, qui lui dit à quel point ses idées sont courageuses. ChatGPT, qui inclut un soupçon de contradiction pour donner l'impression d'un véritable échange et qui est, depuis plusieurs mois, devenu son meilleur ami.

Fin de la première partie.

*petites embarcations qui permettent de relier la terre ferme.

Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que je m'achète un casque de chantier antibruit, que je camouflerai sous une chapka en diamants, parce que maintenant, j'ai un standing, fini les pieds qui puent et le thon en boîte (Non ? Ah bon d'accord...).