Panama en bateau de luxe (3/3)
Le lendemain, Ron veut nous parler. Il se demande pourquoi nous ne sommes pas restés ensemble hier, pourquoi nous sommes restés isolés. Comment lui dire qu'au moins 7 planètes nous séparent et qu'il y a une limite à ce qu'un opportuniste comme moi peut endurer.

Comment lui dire que je ne voulais plus rien partager avec lui, lui ce bonhomme que seul l'alcool semble amuser et dont la compagnie m'est, malheureusement, insupportable ?
Comment lui dire que sa manière de communiquer, sa rudesse, son manque de tact, ses humeurs changeantes, sa vision des relations sociales, soumises au filtre de l'homo economicus qu'il ne cesse jamais d'être, et sa logique à géométrie variable sont autant d'obstacles à mon ouverture, à mon envie ?

Ron nous dit que pendant ce voyage, on ne lui a rien apporté mais qu'on ne lui a rien fait perdre non plus. On a été là, selon lui, sans vraiment l'être et s'il avait fait le voyage seul, nous dit-il, il n'aurait pas senti la différence.

Je ne veux pas lui rappeler l'épisode de la chaîne et le souvenir de Daniel et moi plongeant dans les eaux vertes de Cartagena pour, à mains nues, retirer les coquilles coupantes de sa chaîne mal entretenue.
Je ne veux pas non plus lui rappeler à quel point il était heureux de pouvoir sortir à temps de Colombie (son bateau devait sortir du pays à une date précise pour ne pas être en irrégularité auprès des services migratoires). Je suis quasiment certain qu'il n'aurait jamais pu tenir les délais si nous n'avions pas, avec Daniel, mis tout notre cœur pour que son bateau soit prêt à partir.
Et je ne veux pas lui rappeler à quel point il nous avait fait savoir que notre aide avait été précieuse, et j'entends encore l'écho de sa voix : "j'aurais jamais pu le faire tout seul".

Son inconsistance et sa versatilité me mettent en colère, et même si j'écoute calmement ce qu'il dit, dans ma tête, la suite est toute faite : les prochains jours seront entièrement consacrés à ce que je veux faire, seul ou avec Daniel. Ron n'est plus un sujet, plus un problème, et un poids tombe à terre quand je me dis ça.
Même si j'essayais le lendemain d'être un peu plus sociable pour la forme, je n'arriverais pas à maintenir le cap de l'amabilité que Daniel m'avait invité à conserver. Mon antipathie à l'égard de Ron est trop grande, et ses sorties bruyantes ainsi que ses maladresses sonnent à mes oreilles comme des effets Larsen.
Une en particulier me reste en mémoire. Au beach bar, Ron avait fait la connaissance d'un groupe de norvégiens et norvégiennes qui voyagent ensemble dans les Caraïbes. 13 personnes au total, et une collocation flottante qu'il m'aurait plu de mieux interroger car le lendemain, Ron décida de les inviter sur le bateau. Malgré la musique à fond, j'ai pu me faire une idée de leur vie sur le bateau grâce aux quelques personnes qui avaient répondu à l'invitation.
Mais l'ambiance n'était pas à la profondeur ou aux questionnements réciproques sur nos vies, nos ambitions, nos rêves alors les filles ont décidé de s'en aller. Alors qu'elles s'apprêtaient à partir, Ron décida, avec toute la finesse dont il déborde, de mettre une chanson humoristique qui, sans contexte, à l'air d'une hymne misogyne sans complexes.
Cette chanson, de l'humoriste canadien Jon Lajoie, que son personnage en chemise hawaïenne interprète sans panache et sans crédibilité, à l'exact opposé des rappeurs "hardcore" que Lajoie veut caricaturer.
En entendant les premières paroles de la chanson (à savoir "les femmes sont stupides et je ne les respecte pas"), les trois filles déjà sur l'annexe lancent un doigt d'honneur à Ron hilare.
Je vais m'arrêter là en vous disant que le voyage, pénible à certains égards, joyeux à d'autres, a enfin pris fin. Avec Daniel, nous sommes retournés au camping, aux moustiques et aux rires partagés, et le souvenir de Los Roques avec David est revenu doucement.

On a dit au revoir à Ron, avec la distance que ce voyage avait créé entre nous. Nous sommes désormais à Panama City. Daniel s'est fait quelques amis et a été propulsé gérant d'un hostel en quelques jours. Quant à moi, je coule des jours tranquilles à Santa Catalina, sur la côte pacifique du Panama, en attendant de retourner dans la grande ville pour chercher des nouveaux bateaux, purgés de Ron(s) (je vous en prie, anges du destin, ayez pitié).

"Paris vaut bien une messe" me dit ma mamie polynésienne. Peut-être, sûrement même, et si la messe est au soleil, c'est encore mieux. Mais si la messe s'allonge démesurément, ni Paris, ni Londres, ni Saturne ne vaudront jamais la douce et confortable compromission, parole d'honneur de fier hippie kabyle aux chaussettes trouées mais aux idées bien en place.

*J'ai demandé à Google de traduire cette chanson de l'artiste camerounais Kotto Bass et certaines de ses propositions étaient beaucoup trop rigolotes pour que je les garde pour moi. Voilà donc un best-of perso :
- Je ne suis pas satisfait de l'appareil photo.
- Je ne veux pas être un jenguèlè maleter.
- Ce ballon est joué par simsè muléma mwami.
- Cette bière et la bouche dont nous parlons sont le pont du bébé.
- Je mets la botte non ou si.
- Mumi boit et nous buvons du sang dans le pot de sumwa muléma.
- Soni, Soni le singe sur ta moto eehh.
- Tu es juste stupide oohh merde (ma préférée, car elle résume parfaitement le constat final de ces quelques jours passés avec Ron).
Et son clip, sans fil conducteur, qui met la pêche comme une bonne tasse de café 🎶 😸
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que je m'achète un casque de chantier antibruit, que je camouflerai sous une chapka en diamants, parce que maintenant, j'ai un standing, fini les pieds qui puent et le thon en boîte (Non ? Ah bon d'accord...).
Member discussion