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Pourquoi tanguons-nous ?

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Pourquoi tanguons-nous ?
Nelson Algren Pauses after Another White Sox Loss, Chicago, 1950, Art Shay

— Bon allez là jeanjean, tu fais quoi, les gens attendent ! Tu publies 3 lignes tous les mois, tu penses que c'est la fête à mémé ou quoi ? Faut du contenu, le public demande.
— (Voix d'enfant) mais...mais... c'est parce que Tahiti c'est trop bien et moi j'ai été faire du boogy avec ma sœur et j'ai été manger des burgers et du poisson cru et j'ai...
— Oh jeanjean tu m’écoutes ou quoi ? On s'en fout de tes vacances là, t'as un blog faut produire, allez chopchop, au boulot, rapidito !
— Ben moi j'ai écrit un texte mais il est long...
— Non mais c'est très bien ça, tu publies ça voilà !
— Mais le texte il est long et c'est un peu philosophique et aussi...
— Non mais c'est très bien, parfait, tu publies en plusieurs parties, les gens se gratteront la tête, on dira que c'est moderne et anti-conformiste et puis voilà. Allez j'annonce à tout le monde et toi tu publies ok ?
— Meuuuuuuuuuu d'accord mais après moi je vais faire du boogy avec ma sœur !
— Oui bon allez envoie.

Mesdames, Messieurs,
Après un mois de chill, jeanjean reprend du service pour conclure ces presque deux années de voyage (jeanjean me tire la manche pour me dire qu'il veut rester un peu sur la terre de son enfance et faire une pause dans la baroude) avec un texte... bon on comprend pas tout du texte mais il insiste pour le publier. Et quand la partie finale aura été publiée, il vous inclura une petite surprise...
Allez, bonne lecture <3


Pourquoi tanguons-nous ?

Le bateau c'est chouette ! Ça vous emmène loin, dans des pays exotiques ou des îles paumées, où vous pouvez siroter toutes sortes de jus, alcoolisés ou pas, épicés ou non. Ça vous permet de vous baigner directement au réveil et de ne pas payer de taxe d'habitation. C’est utile, aussi, pour en apprendre un peu plus sur comment ça fonctionne un panneau solaire et une pompe de cale, comment ça marche les phénomènes météo et les courants marins. Ça titille votre curiosité et ça vous donne le super pouvoir de devenir autonome, vous rendant, par la même occasion, un peu moins inquiet quant au destin du monde, que vous voyez se dégrader à chaque fois que vous avez la curieuse idée de vous enquérir de son état. Bref, le bateau c'est chouette et, mieux que ça, le bateau c’est grandiose, et vous ne connaissez rien de similaire à cette liberté qui vous habite quand vous voguez sur ces mers ouvertes et que vous mangez ce poisson par vous pêché.

Mais le bateau, sorti du mouillage, ça tangue. Non seulement ça tangue, mais ça roule, ça gîte, ça secoue, ça remue, ça chahute, ça ballotte, ça ébranle, ça vacille. Le bateau, bien joli au chantier, bien sage sur les images, une fois qu’il flotte, il ne s’arrête plus de bouger, un peu comme un enfant de 6 ans lorsqu’il apprend qu’il est mortel et seul sur cette grande Terre ; ou comme un consultant de cabinet de conseil à la Défense pour qui manger/engloutir, marcher/courir et demain/trop tard sont synonymes.

Si vous étiez un sage et grand marin, vous auriez le cœur bien accroché et ce en toute occasion, et le tangage ne serait que l’un des éléments constitutifs des choses de la mer, que vous savez dure, mais aussi belle, et surtout noble car, je le rappelle, vous seriez sage. Vous sauriez que les paradis blancs et verts se méritent et vous seriez imperturbable et téméraire quand la tempête vous ordonnerait d’élever votre âme au-dessus des vagues qui vous venaient couler. Vous maintiendriez fermement tous les bouts entre les doigts et la barre entre les dents, et oh hisse jusqu’au prochain port ?

— Allez bande de charognes, tas d’pommes pourries, écrevisses en caleçons de soie, spectateurs de la comédie humaine : en route pour le lointain, le sauvage, le méconnu, et pas d’caprices ou j’vous jette à l’eau comme des vieux navets qui sentent la vieille moufle.

Quelle chance !, pensez-vous, naïf et souriant, d’être enfin sur le bateau, de pouvoir enfin naviguer, voguer, planer. Le bateau : c’est chouette, trop chouette même ! Puis le temps tourne, la mer se dévoile et votre sourire candide s’efface peu à peu. Vous vous cognez contre les parois qui vous enserrent ; vous ramassez, avec toute l’indignité qui vous oblige, votre tartine retournée sur le sol ; vous injuriez le mobilier d’intérieur, qui n’a même pas la pitié de vous éviter, au moins un peu, quand la mer s’emballe. Vous êtes tantôt une pierre, tantôt une plume ; tantôt écrasé par les règles sans logique de la gravitation marine, tantôt projeté au plafond par une onde de choc que vous ne pouviez (et ne pourrez jamais) prévoir car les dieux n’ont que votre douleur pour se divertir, et ils en abusent comme de toutes les bonnes choses. Vous serrez constamment les dents, vous vous tenez constamment le ventre, regardez constamment le large, et dans cet abîme de silence où votre âme perd pied, une conclusion s’impose : vous n’êtes pas un sage et grand marin et ne voudrez jamais l’être, le tangage n’est pas drôle et vous vous foutez royalement qu’il puisse être l’un des éléments constitutifs des choses de la mer. Vous exigez, avec le peu de force qu’il vous reste, que ce calvaire s’arrête immédiatement. Mais chaque fois que vous tapez du poing sur la table, vous ratez la table et frappez votre cuisse qui, au bout d’une semaine, a autant de bleus qu’une peinture de Monet.