Jour 10

Jour de pizza. On se régale de la pizza maison de Solène, on se détend dans le cockpit, on lit.
Le soir, je tombe sur un poème de Lamartine :
Le désert ou l’immortalité de dieu
Méditation poétique
VI
Tel que le nageur nu, qui plonge dans les ondes
Dépose au bord des mers ses vêtements immondes,
Et, changeant de nature en changeant d’élément,
Retrempe sa vigueur dans le flot écumant ;
Il ne se souvient plus, sur ces lames énormes,
Des tissus dont la maille emprisonnait ses formes,
Des sandales de cuir, entraves de ses pieds,
De la ceinture étroite où ses flancs sont liés,
Des uniformes plus, des couleurs convenues
Du manteau rejeté de ses épaules nues ;
Il nage, et, jusqu’au ciel par la vague emporté,
Il jette à l’Océan son cri de liberté !…
Demandez-lui s’il pense, immergé dans l’eau vive,
Ce qu’il pensait naguère accroupi sur la rive !
Non, ce n’est plus en lui l’homme de ses habits
C’est l’homme de l’air vierge et de tous les pays.
En quittant le rivage, il recouvre son âme :
Roi de sa volonté, libre comme la lame !…
À quel point ces poèmes arrivent à point nommé, je ne pourrais jamais me l'expliquer. Ce nageur, autrefois encombré par ses vêtements, dont "la maille emprisonnait ses formes", qui se met à l’eau et nage, voila, perpétuellement, l’idéal qui m'habite, et plus le voyage se fait, plus je sens mes vêtements se défaire.
Cet “homme de l’air vierge et de tous les pays”, qui n’a plus le souci de son ancienne nature, comment vivait-il jusqu’alors, je me le demande. Je sais cependant qu'il est “roi de sa volonté”. Pas roi-monde, ni philosophe-savant ou professeur ; simplement maître de lui-même.
Une vie suffira t-elle ? Et si oui, comment faire ? Ou suffira t-il de ne plus se poser tant de questions, et de plonger nu dans le flot écumant ? Merci Alphonse pour l’évocation.

Réflexions sur les possédés de Ursula K. Le Guin : posséder = être possédé ? Être libre c’est ne rien posséder ? Comment vivre rassasié d'un vouloir commun, de la chaleur de l’entraide, dans l’assurance de la cohésion humaine ? Où en est-on du “être avec”, du "vivre ensemble" ? N’y a t-il que la possession ou le sacrifice ? La propriété est-elle innée ou construite ? Peut-on s’émanciper de son emprise morale ? Quand on possède, on n’a pas besoin des autres jusqu’à ce qu’on désire une chose que les autres possèdent.
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